La notion de « droit de retrait » fait régulièrement surface surtout lorsque des situations d’agression se produisent dans les transports ou au sein d’établissements scolaires et connaît un regain d’intérêt à cause de la situation sanitaire. Mais que recouvre exactement cette notion ? Dans quel cadre l’exercer ? Quelles en sont les limites ? Que risquent les agents qui l’invoquent à tort ?
Qu’est ce que le droit de retrait ?
C’est la faculté pour tout agent public de se retirer d’une situation « dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection« . (art 5-6 du décret 82-453).
Cet article précise en outre : « L’autorité administrative ne peut demander à l’agent qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection« .
Ensuite, aucune sanction pécuniaire ou disciplinaire ne saurait être prise à l’encontre « d’un agent ou d’un groupe d’agents qui s’est retiré d’une situation dont il avait un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent. »
Ce droit est donc individuel et pas collectif ce qui signifie que si plusieurs agents veulent exercer ce droit, il faut que chacun effectue la démarche. De plus, des agents publics sont limités par la nature de leurs missions à exercer ce droit (policiers municipaux, administration pénitentiaire, agents en fonction dans les missions diplomatiques et consulaires, sapeurs-pompiers, militaires).
Le texte précise également que l’exercice du droit de retrait « doit s’exercer de manière à ne pas créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent« .
Le TA de Besançon a, par un jugement du 10 octobre 1996 (Glory c/ commune de Châtenois-Les-Forges), considéré que le droit de retrait constituait un principe général du droit bénéficiant à tout agent public.
Suivant cette interprétation, il s’agit donc d’un droit subjectif de l’agent de se retirer d’une situation de danger imminente, tout en sachant que ce comportement doit avoir des bases objectives.
Comment procéder ?
Tout agent qui veut exercer son droit de retrait doit en informer immédiatement son chef de service par tout moyen à sa convenance. La jurisprudence n’impose pas d’alerte par voie écrite.
Et ensuite ?
Le chef de service doit prendre les mesures nécessaires et être à même de justifier qu’il a pris toutes les mesures de protection adéquates pour la santé de son personnel. Il peut demander à ou aux agents de reprendre leur activité.
En cas de refus, il(s) s’expose(nt) à des retraits de salaire voire dans les cas extrêmes à des sanctions disciplinaires. Comme toute sanction, cette décision peut être contestée devant les juridictions administratives.
Quelles sont les limites du droit de retrait ?
La notion de « danger grave et imminent » doit être précisée.
Sur la notion de « danger grave », la circulaire du ministre du travail n 93-15 du 25 mars 1993 relative à l’application de la loi n° 82-1097 du 23 décembre 1982 donne la définition suivante : «tout danger susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée ». Pour les tribunaux, ce danger doit être distingué du risque « habituel » du poste de travail et des conditions normales d’exercice du travail, même si l’activité peut être pénible ou dangereuse. Un travail reconnu dangereux en soi ne peut justifier l’exercice du droit de retrait.
Concernant la question de l’imminence, le droit de retrait vise «tout danger susceptible de se réaliser brutalement et dans un délai rapproché» (Circulaire du ministre du travail du 25 mars 1993). C’est la proximité de la réalisation du dommage (et non donc celle de l’existence d’une menace) qui doit donc être prise en compte.
L’imminence ne concerne donc pas seulement la probabilité, mais la probabilité d’une survenance dans un délai proche (CA Paris 26 avril 2001, 21ème ch., Verneveaux c/ RATP).
En cas de contentieux, c’est à l’agent qu’il appartiendra de prouver la réalité du danger grave et imminent qui a justifié son droit de retrait.
Que dit la jurisprudence en cas de contentieux ?
C’est le juge qui apprécie au cas par cas la situation et qui apportera la justification (ou non) du droit de retrait. Il existe des jurisprudences favorables (celle du TA de Besançon de 1996, CAA de Marseille 10 février 2009) d’autres défavorables (présence avérée de déjections de chauve-souris dans plusieurs salles d’une école et de défectuosités affectant la toiture et les toilettes de cette école : CE 18 juin 2014,
n° 369531, Min. de l’Éducation nationale c/ Mme Casa Nova Zatar eta.).
Peut-on invoquer le droit de retrait dans le cadre de l’épidémie ?
Une fiche du Ministère de la Fonction Publique rédigée en mars 2020 précise : « Pour les agents en contact régulier et étroit avec le public ou une communauté, l’exercice du droit de retrait se fondant sur l’exposition au virus ne peut donc trouver à s’exercer que de manière tout à fait exceptionnelle, les conditions de danger grave et imminent n’étant en principe pas réunies. En revanche, les mesures de prévention doivent être particulièrement déployées à leur intention. »
Dans le contexte du coronavirus, le ministère de la Fonction Publique précise que si l’employeur met en œuvre les recommandations du gouvernement (gel hydroalcoolique et masques par exemple), les conditions d’exercice du droit de retrait ne sont pas réunies sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux. En principe, le travailleur n’a pas alors un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.
En revanche, si ces recommandations ne sont pas suivies par l’employeur, alors le travailleur peut exercer son droit de retrait jusqu’à ce que celles-ci soient mises en œuvre.
En cas de recours abusif, l’administration peut procéder à un retrait de salaire. Un recours contentieux est évidemment possible mais il vaudra mieux se faire accompagner par le Sgen-CFDT et/ou un avocat pour accroître les chances de succès.